Duncan Jones in the Moon
Duncan Jones et Sam Rockwell, au festival de Sitges, oct.09. Photo : © Jean-Benoit Kauffmann, 2009.
Comment parler de Moon sans frôler le lyrisme, tant ce film magistral nous a touché… Un premier opus à petit budget (5 millions de dollars) très proche du chef d’œuvre. Sam Rockwell, seul acteur du film, y incarne un astronaute en fin de mission. Trois ans de solitude sur la lune. Nous sommes dans un futur pas si lointain où la terre va puiser une bonne part de son énergie là-bas. Sam Bell (Sam Rockwell) a l’air épuisé par l’isolement. Il a des visions. Semble perdre la tête à force de ne parler qu’à Gerty, un robot maître d’hôtel. Et puis, un jour tout s’emballe, après un accident lunaire, Sam se réveille à l’infirmerie et découvre qu’il n’est plus tout à fait seul. Et cet autre… c’est son double. Un autre Sam. Un dialogue entre Sam 1 et Sam 2, celui qui est là depuis trois ans, et celui qui va le remplacer, car il s’agit bien d’un clonage… Le film emprunte à l’imagerie de Kubrick, 2001, L’Odyssée de l’espace. La bande originale, sublime, signée Clint Mansell (auteur de la B.O de Requiem for a dream, de Daren Aronofsky), porte à merveille les images de cette ode à l’être humain dans toute sa nudité, face à lui-même.
Nous avons rencontré le réalisateur et son acteur à l’occasion du Festival du film fantastique de Sitges09, en octobre dernier. Sam Rockwell est détendu, mange des œufs sur le plats accompagnés de toasts (qu’il nous propose de partager) et répond aux questions de cette interview groupée (une table de huit journalistes).
Votre rôle a tout de la performance théâtrale, du one man show, avez-vous des affinités avec le théâtre ?
Oui, c’est vrai, il y a beaucoup de ça. Je serai d’ailleurs à Broadway en janvier prochain. Et puis, j’ai grandi dans le théâtre, je l’ai étudié quand j’étais enfant. Pour le film, comme nous faisions très peu de prises, je courais dans tous les sens pour passer d’un maquillage à l’autre, faire la scène. Oui, exactement comme au théâtre.
Comment se prépare-t-on à ce genre de rôle ?
Je me suis familiarisé avec le personnage, on a beaucoup travaillé avec Duncan et puis j’ai regardé beaucoup de films pour voir le jeu de mes collègues. Des films comme Dead Ringers, par exemple (Faux semblants, Cronenberg, Ndlr). J’adore la science-fiction, elle peut avoir un côté ‘conte ancien’ Et puis, j’ai pensé aussi au côté “malade” de Midnight cowboy. Le tournage a été stressant car il n’a duré que trente jours alors qu’il aurait dû se faire en trois mois. Le fait d’être seul était une très grande responsabilité, Choke et Snow angels étaient difficiles, mais Moon a généré plus de pression et de responsabilité pour moi.
Que feriez-vous si vous deviez partir loin, vous isoler ?
J’emmènerais avec moi des photos de mes amis et de ma famille, Sam a aussi des tas de photos de sa femme et de sa fille épinglées sur les murs.
Et Sam Rockwell cède sa place à Duncan Jones pour la suite des questions…
Que pensez-vous du clonage ?
Un clone pourrait être considéré comme un jumeau, pas comme une menace.
Vous vous inspirez des films de science-fiction passés…
Avec Sam, on s’est connus lors d’un autre projet qui n’avait pas pu aboutir. Nous avions les mêmes films en commun, ceux des années 70. J’aime tous les films de cette époque, même leur look. Regardez ça, par exemple (il nous montre son IPhone), c’est cela le futur… c’est très ennuyeux ! Je voulais récupérer l’esthétique des années 70. Dans mon prochain film, qui se passera à Berlin (Mute, Ndlr), je voudrais récupérer aussi l’esthétique rétro, les vieilles rues…
Pourquoi la voix de Kevin Spacey pour le robot, seul interlocuteur de Sam ?
Girty est un peu comme Hal dans 2001, mais il n’est pas mauvais. J’ai utilisé la voix à la fois douce et ambiguë de Kevin Spacey pour qu’on doute. Est-il bon ? est-il mauvais ? On pense toujours que les robots sont mauvais. Ici, je voulais montrer le contraire.
Le film, ce face-à-face avec soi-même, évoque t-il aussi la schizophrénie que pourrait provoquer une solitude trop longue ?
Non, mon film parle avant tout de solitude uniquement, de la manière dont on se comporte loin des siens. Il s’agit plutôt de l’idée littérale de quelqu’un qui se trouve face à lui-même à un autre âge de sa vie. Je suis différent de celui que j’étais à vingt ans ou à quinze ans. Qu’est-ce que je peux dire à celui que j’étais? La priorité était de parler des personnes et de la nature humaine.
Avez-vous peur du futur ?
Non, je n’ai pas peur. Quand nos ressources seront épuisées nous en trouverons d’autres. Quand il y a un grave problème, l’être humain trouve toujours le moyen de s’en sortir.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, Duncan Jones, n’est autre que le fils de David Jones, alias David Bowie. Et forcément, la question qui brûlait la langue de bon nombre d’entre nous a fini par être posée (pas par nous) dès que le sujet sur l’excellente partition musicale de Clint Mansell a été lancé… Pourquoi ne pas avoir fait appel à votre père pour la musique? en conférence de presse, le matin même, sa réponse était une esquive amusante : “Parce que je n’en avais pas les moyens !” En comité restreint, il répond plus franchement : “C’est mon premier film, j’ai 38 ans, et si je suis arrivé là, cela aurait été un non-sens de lui demander de collaborer à ce projet. Peut-être pour un autre film…”
En effet, Duncan Jones est bien parti pour se faire son propre nom. Après l’entrevue, en off, il nous confiait être “fâché” avec la France : “Ils ne veulent pas distribuer mon film en salles, il sortira uniquement en Dvd.”
Autant dire que le public français va manquer au cinéma le meilleur film de science-fiction de ces dernières années.
© Corinne Bernard pour www.vivreabarcelone.com, octobre 2009
Moon, de Duncan Jones, sortie en salle en Espagne, le 9 octobre 2009.
Le film a obtenu le Prix du meilleur film, Sam Rockwell, celui du meilleur acteur, festival Sitges’09 (Festival international du Film fantastique et d’horreur).