Amelie Nothomb 2

Le paradoxe Amélie Nothomb

Amélie Nothomb accompagnée de son éditeur espagnol, lors de la conf. de presse à l’Institut français, 2 mars 2009. 
   Photos : © Jean-Benoît Kauffmann.
Tout le monde croit savoir qui est Amélie Nothomb, mais la connaît-on vraiment ? Rock-star de la littérature, traduite dans une quarantaine de pays, la diva séduit à chacune de ses apparitions. De passage à l’Institut français de Barcelone le 2 mars dernier, rencontre avec une auteure tout droit sortie d’un de ses romans.

Ce qui saute aux yeux lorsqu’on croise Amélie Nothomb dans les couloirs de l’Institut français où elle est venue présenter Ni de Eva, ni de Adan (Ni d’Eve, ni d’Adam ), son dernier opus traduit en Espagne chez l’éditeur Anagrama, ce sont ses expressions contrastées. Une légèreté teintée d’angoisse et de gravité. Elle est comme ses personnages : une énigme, voire un paradoxe. Avec un livre à chaque rentrée littéraire et 65 manuscrits dans ses tiroirs, dont certains ne seront jamais publiés, elle est une boulimique de l’écriture : « J’ai écrit dans mon testament que la plupart de mes manuscrits ne seront visibles que 75 ans après ma mort… Mais qui se souviendra de moi à ce moment-là ? » Elle écrit avec une discipline à la japonaise, de quatre heures à huit heures, chaque matin, même en voyage : « C’est à ce moment que j’ai la force mentale d’écrire. Je bois d’abord mon demi-litre de thé trop fort, d’un seul coup. Le thé explose dans ma tête et je retrouve ma virginité mentale. J’ai commencé à écrire mon 66e livre ici, ce matin. » Peut-elle se passer de cette drogue ? « J’ai bien tenté de ne pas écrire, ça m’est arrivé un dimanche matin, j’avais choisi de ne rien faire, d’être comme tout le monde, de prendre un bon livre et de rester au lit. Eh bien je me suis sentie très mal. » Le vide sans l’écrit. Et si tout cela faisait partie du personnage Nothomb ? Si ce n’était que pure invention, comme une star se fabrique une image ? Que nous reste-t-il alors ? L’essentiel : une personne qui écrit l’étrangeté du monde, en particulier l’univers japonais et ses codes si curieux à nos yeux d’européens. On pourra, bien sûr, lui reprocher de ne pas être constante, pas assez exigeante envers ses histoires. Robert des noms propres ou Le Fait du prince (dernier ouvrage paru en France) n’atteignent pas le sublime de Hygiène de l’assassin, son premier opus, ou de Stupeur et tremblements. Et alors ? Il semble évident de perdre en qualité quand on produit autant. Ni d’Eve, ni d’Adam a été couronné du Prix de Flore, en 2007. Une oeuvre casi-autobiographique, peut-être même une autofiction à la manière de Modiano, une manière de brouiller les pistes de la vérité. Car quel écrivain se dénude totalement ?

« La vie d’un Japonais est une douche écossaise»
« Ni d’Eve, ni d’Adam raconte une histoire d’amour que j’ai vécue de 1989 à 1991, mais je ne l’ai écrite qu’en 2006. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour la raconter ? J’avais besoin de la digérer. Parce que c’était une histoire merveilleuse et le bonheur est une expérience qui demande une digestion très longue. » Une liaison avec un Japonais et tout ce que cela peut comporter d’exotisme : « Une histoire d’amour avec un Japonais, c’est l’expression de l’étrangeté absolue ! » Certains y voient une citation de Hiroshima mon amour : « Mon histoire est légère, heureuse, tandis que celle de Duras est grave, avec ce ton sacré propre à tous ses romans.»
Amélie Nothomb écrit un roman d’amour sans jamais décrire d’épisode sexuel : « Quand je lis ce genre de choses chez les autres, je me dis que le langage employé n’a rien à voir avec la réalité. Je suis majeure, je sais bien ce que c’est mais je préfère jeter un voile pudique car il me semble qu’il y a une inadéquation entre le sexe et le langage. » De sa prime-enfance au Japon, elle garde un souvenir nostalgique et doux : « J’y ai vécu de 0 à 5 ans, j’ai donc une imprégnation japonaise très forte, ma gouvernante était japonaise, je l’aimais beaucoup. Et puis jusqu’à trois ans on est considéré comme un dieu au Japon. Effectivement, ma gouvernante me parlait comme à une déesse, ça me plaisait beaucoup… Plus tard, l’éducation est très difficile pour les enfants, on exige d’eux énormément de discipline. On retrouve sa liberté de 18 à 25 ans, à l’université, et puis, retour à l’horreur avec le travail. La vie d’un Japonais est une douche écossaise.»
Est-il plus difficile d’écrire sur soi ou d’écrire sur des héros fictifs ? « C’est difficile dans tous les cas. C’est tout aussi mystérieux d’écrire sur soi car on ne se connaît pas. Mais les personnages sont extrêmement bizarres dans les deux cas. » Bizarre, peut-être… Amélie Nothomb est sans doute née de l’imagination d’un écrivain facétieux.
© Corinne Bernard, mars 2009.

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