Leona Miano
| | |

Léonora Miano : « Tout texte devrait avoir une portée universelle »

 
 
L’Intérieur de la nuit raconte les exactions menées par les milices en Afrique noire, vues par Ayané, revenue sur le sol natal après des études françaises. Portée par une écriture limpide et sans effusions, ce premier roman de Léonora Miano offre une lecture bouleversante dont on ne sort pas indemne. Elle écrit l’inconcevable avec l’excellence d’un auteur né. Un livre atemporel, sans lisières, sur les croyances redoutables quand elles mènent à la soumission. 
 
Comme Ayané, vous posez-vous en observatrice de la culture africaine ?
Le personnage d’Ayané ne me ressemble pas tout à fait. J’ai en commun avec elle d’avoir été élevée dans une famille marginale, c’est tout. Contrairement à Ayané, j’ai toujours eu à cœur de me rapprocher de ceux qui m’entouraient, afin de les connaître mieux. J’assume parfaitement de me trouver au carrefour de plusieurs univers, c’est ainsi que je me sens bien. J’écris pour répondre à des questions. L’une d’elles concernait les mécanismes mentaux de l’acceptation du pire. Le décor et l’habillage culturel sont africains, mais le sujet est universel.
 
 
S’agit-il d’un roman à portée universelle sur les clivages culturels et religieux ?
Pour moi, tout texte mettant en scène des êtres humains devrait avoir une portée universelle. Si on considère donc que l’Afrique fait partie de l’humanité, comment fermer les yeux sur ce qui s’y passe, et pourquoi ne pas dire la vérité ? Elle nous concerne tous. Ce que vous dites de la manière dont les sociétés sont ou ont pu être clivées est également juste. Changer de continent, quitter le Nord pour le Sud, ce n’est parfois que faire un voyage dans le temps.
 
Les sacrifices humains sont-ils un sujet tabou en Afrique ?
Ils ne sont pas un tabou pour les populations africaines qui les pratiquent. Elles en parlent et les pratiquent pour des raisons diverses, souvent liées à des croyances anciennes. Certains États ont une législation pour les châtier. Pour le monde anglo-saxon, ce n’est pas non plus un secret, puisque les journaux anglais et américains en parlent, notamment parce que la Grande-Bretagne est confrontée à des meurtres rituels sur son propre sol. Le tabou vient, en France, du silence dont on choisit de recouvrir ces questions, pour deux raisons : la première est, bien sûr, que certains se trouvent confortés dans leur mépris de l’Afrique,  l’autre, est que les liens qu’a la France avec ses anciennes colonies sont complexes, faits depuis toujours de méthodes qui ne favorisent pas la transparence.
 
Comment vous sentiez- vous après avoir écrit la scène du sacrifice humain ?
Je me détache de L’Intérieur de la nuit pour écrire le prochain texte. Il m’est donc difficile de vous dire comment je me suis sentie après avoir composé cette scène. C’était il y a longtemps. Je voulais qu’elle soit précise, clinique, qu’il apparaisse que ces choses sont codifiées. Pour moi, la seule possibilité était une description froide et méticuleuse pour faire ressentir au lecteur l’horreur de la situation. La littérature permet, au travers de semblables reconstructions du réel, de mettre en exergue ce qui passe finalement assez inaperçu.
 
© Propos recueillis par Corinne Bernard, 2005.
 
L’Intérieur de la nuit, Léonora Miano, éd. Plon, 213 p. (parution, août 2005). Édition de poche Pocket Nouvelles Voix (2006).

 

Publications similaires