Karsh Hitchcock

Narcisse et ses étoiles

                                  ©Horst P. Horst, Coco Chanel, 1937.

                                 © Paul Strand, Rebecca, 1923.

                                     © Yousuf Karsh, Alfred Hitchcock, 1960.

                                           © Ruth Orkin, Robert Capa, 1953.

                                  © Robert Doisneau, Colette aux sulfures, 1950.

La galerie Kowasa offre une série de portraits des années 30 à 60, pour la plupart de célébrités telles que Hitchcock ou Chanel. Une expo éblouissante où les visages sont croqués par une cinquantaine de photographes tout aussi notoires avec des images de Strand, Doisneau ou Horst.
Le rêve de Narcisse se réalise enfin avec le portrait en photographie. Le véritable reflet. Avant ça, la peinture ne fait qu’imiter, reproduire. La photo résout le problème de la similitude en offrant la copie conforme. Les visages apparaissent tels qu’ils sont, avec leur traits, leurs rides, leurs pores, leurs cicatrices… toutes ces marques auparavant gommées par les peintres de portraits. Au XXe siècle, le portrait photographique acquiert ses lettres de noblesses à travers l’objectif des plus grands : Halsman, Sudek, Strand, Horst… Il est une forme de reflet social, il immortalise les gens du quotidien mais aussi, et c’est là, la nouveauté, les célébrités. Désormais, les acteurs, les peintres, les écrivains, les musiciens ont chacun leur portrait. Ils sont diffusés dans les magazines tels que “Life”. Tous ces visages entrent dans les foyers des plus modestes et font rêver. La photo les rend accessibles. Les célébrités deviennent des icônes photogéniques que l’on peut acheter dans le kiosque du coin. Horst P. Horst photographie Coco Chanel lovée dans une méridienne, plus élégante que jamais (Coco Chanel, 1937). Il rend compte du prestige, non seulement de la femme, mais aussi de la marque qu’elle représente. La classe parisienne sans défaut, tout est parfait, jusqu’à la manière si particulière dont mademoiselle Chanel tient sa cigarette. Les colliers autour de son cou, la robe et le ruban noirs. Son visage est éclairé pour souligner la finesse du profil et la peau diaphane. Une merveille. Horst avait pour habitude d’utiliser des touches d’éclairages et de mettre l’accent sur la position des mains, ce portrait illustre tout à fait son style précis. Yousuf Karsh a croqué des politiques (Castro, Churchill) et des stars : humphrey Bogart, Grace Kelly… En 1960, il choisit Hitchcock, de profil (la marque de fabrique du cinéaste utilisée pour le générique de sa série télévisuelle Hitchcock presents). Alfred Hitchcock a les mains croisées et son fameux sourire bonhomme, légèrement moqueur.
Portraits complices
Ruth Orkin, quant à elle, photographie son ami Robert Capa, on est en 1953. Capa a un sourire charmeur, complice. Nous sommes dans un restaurant, deux verres à vin (vides) sont posés devant le photographe. Peut-être une photo prise à la fin d’un repas où les deux photographes s’amusent… un portrait aux allures d’instantané. De 1920 à 1932, Paul Strand réalise une série sur sa femme Rebecca. Loin des postures formelles, il montre l’intimité, elle est couchée, les épaules dénudées. Rebecca (1923) est une photo qui la dévoile les yeux fermés. Dort-elle ou fait-elle semblant? Sait-elle que Paul est en train de la photographier? Un portrait intime aussi par sa proximité avec le spectateur. L’objectif de Strand capte la douceur d’un visage au repos. De si près, que l’on devine quelques ridules sur les paupières et la texture de la peau. Un hommage au naturel des visages assoupis. Plus fou, Dali aime qu’on l’observe, c’est là qu’il exulte, qu’il s’adonne à la comédie comme face aux caméras de télévision. En 1969 son photographe officiel et ami, Vaclav Chochola fait son portrait chez lui. Dali a toujours ses fameuses moustaches et ses tenues d’un autre siècle. Il a ce regard que tout le monde connaît, excentrique, hors normes. Dans sa main tendue, d’autres photos de lui, sans doute le travail de Chochola. Le photographié et ses retratos. Délirante mise en abyme du marquis déjanté. Du côté des écrivains, la galerie Kowasa accroche aussi des photos de Colette et de Camus. La première, prise par Robert Doisneau. Colette aux sulfures, (1950). La romancière dans son appartement parisien, Palais-Royal, avec en premier plan, une multitude de sulfures. Colette est comme dans un jardin imaginaire. La photo est prise face au miroir, c’est donc le reflet de Colette que nous voyons derrière les boules de verres. Singulier. Quant à Camus, l’image est plus formelle et imposante. La posture d’un écrivain en costume, feuilletant un livre ou un manuscrit, on ne sait pas vraiment (Izis, Albert Camus, 1948). Doisneau donne la mesure de l’auteur de l’existentialisme. Plus tard, Richard Avedon, Bettina Rheims, Annie Leibovitz,  Jean-Loup Sieff ou David LaChapelle, réinventent l’image des stars. Le portrait est de plus en plus stellaire, irréel, magnifié. Il flirte avec la publicité.
© Corinne Bernard – mars 2009.
La Visión del otro, el rostro y la modernidad fotógrafica, exposition visible jusqu’au 16 mai 2009, galerie Kowasa (C/Mallorca 235), du mardi au samedi, de 16 h 30 à 20 h 30.
 

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