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Soleil noir





Avec Bones in Pages  le chorégraphe japonais Saburo Teshigawara conquiert un public promené entre tradition et modernité japonaises.

Au sein de son installation Dance of Air, Saburo Teshigawara, chorégraphe de renommée mondiale, distille une œuvre dansée qui invite aux croisements entre monde sensible et monde intelligible.
Sur scène, des livres, des tonnes de livres pour une bibliothèque universelle, symbole de toutes les connaissances. À gauche, des chaussures, l’homme tangible, la terre. Et puis, pour passer d’un monde à l’autre, un paravent translucide où est perché un corbeau.
Si la pensée occidentale perçoit l’oiseau noir comme un présage de mort, voire, comme le symbole de la mort elle-même. Ici, le corbeau est un Cerbère. Mais un Cerbère qui permet, non pas le passage dans le monde des morts, mais plutôt l’osmose entre l’homme et la nature, la pensée et l’univers.
Saburo Teshigawara démarre son solo en dansant avec les airs sur une musique électronique et puis, la musique et le mouvement deviennent doux, mélange du sabre et du roseau, mélange de la rigueur et de la douceur des mouvements du Tai-chi, mouvements toujours dansés où la lenteur embrasse les airs. Le danseur fait corps avec la musique et les airs dans des mouvements souples ou saccadés, arrondis ou raides.
Contemporain et néo-classique font la paire dans une savante alchimie et une précision des gestes que le chorégraphe maîtrise à merveille. Le corbeau, toujours perché sur les paravents observe le maître. Ici, l’animal n’est pas de paille.
Plus tard, le danseur joue avec les pages des livres, les fait virevolter, il fait corps avec l’esprit et la matière jusqu’à se fondre dans cette immense bibliothèque pour laisser place à une danseuse. Fondu au noir.
À ce moment précis, le chorégraphe nous invite dans un monde moderne inspiré de l’imagerie des films de Takashi Miike (Audition) ou Norio Tsuruta (on se souvient de l’ambiance particulièrement oppressante de Ring), un monde inquiétant rejoint par un autre corps au visage masqué porté par une musique syncopée. Il scande les sons de gestes semblables à la mécanique des machines. Au final, retour sur le solo de départ, et mystère de la patience et de l’alchimie magique du Japonais : le corbeau bat des ailes, semble danser avec l’artiste. Du grand spectacle qui vous emporte ailleurs, entre tradition et futurisme. Mais qui, de l’homme ou du volatile, a rejoint les esprits ?

© Corinne Bernard (archives – oct. 2004)