L’univers néo-réaliste de Fellini penche du côté de l’illusion. Entre rêve et réalité. Dans les années 70, un analyste lui demande de décrire ses rêves. Il le fera sous la forme d’illustrations. Le livre des rêves, montre comme une évidence que Fellini a d’abord rêvé ses films. Il suffit de regarder quelques dessins aux femmes plantureuses évoluant dans un univers complètement baroque. La quintessence de ses films. Sa fascination aussi pour Mandrake, ce mystérieux magicien créé par Lee Falk en 1934. Il tentera d’ailleurs de tourner un film sur ce personnage de bande dessinée, en vain. Alors en 1972, il propose une « fotonovela » pour Vogue, un roman-photo où Marcello Mastroianni apparaît sous les traits de Mandrake. Il en va de même pour Mastorna, en 1969 qui ne verra pas le jour. Mastorna est un homme étrange qui a des connexions avec l’au-delà, Fellini aura à peine le temps de tourner quelques plans avant de tomber gravement malade. Ces deux personnages ont un lien direct avec le monde de l’illusion, car Fellini est fasciné par ce qui n’est pas réel comme il peut l’être par les prostituées, bien réelles. Cette double connivence avec le rêve et la réalité donne le ton fellinien. C’est sa marque de fabrique.
“Je veux montrer”
Puisées dans une sorte de réalité fantastique, ces énormes italiennes, ces mamas trouvées dans les familles italiennes. Ailleurs, des visages extraordinaires inspirés des « grutesque » (les grotesques) du XVe siècle. Et puis, des scènes de repas orgiaques à la façon des trattoria où les assiettes de pasta débordent. Des restaurants où le réalisateur va pour manger, mais aussi pour observer les clients, ces gloutons du plaisir romain. C’est ainsi qu’ils apparaissent dans bon nombre de ses films. « Je ne veux pas démontrer, je veux montrer », disait Fellini. Ainsi, il réinvente des personnages qu’il a rêvés ou observés, des caractères sublimes, (la femme -Vénus jouée par Anita Ekberg dans LaDolce Vita, 1960), ou caricaturaux, (la buraliste à l’énorme poitrine, Maria Antonietta Buzzi dansAmarcord, 1973). L’excès, la démesure, la caricature (les prostituées des Nuits de Cabiria, 1957) fascinent le cinéaste et mettent à l’épreuve le spectateur. On ne reste pas indifférent à Fellini. C’est ainsi qu’il s’attire les foudres du Vatican pour avoir osé reproduire au début de La Dolce Vita, un fait divers lu dans la presse : la statue du Christ survolant le ciel en hélicoptère… mais on ne rit pas avec les icônes. Peu importe, cette séquence reste dans la mémoire des cinéphiles.
L’invention du paparazzi
Dans les années 50, démarre la mode des stars sollicitées et suivies par une certaine catégorie de photographes. Intrigué par ce nouveau phénomène, Fellini invente le mot paparazzi avec le personnage nommé Paparazzo, un photographe de presse de La Dolce Vita. Il s’inspire aussi de la scène : le music-hall, le théâtre, et plus particulièrement le cirque. Sa passion pour les clowns et autres fantaisistes est visible tout au long de sa carrière. L’exposition donne à voir de superbes portraits de Giulietta Masina dans La Strada (1954) qui traite du sujet (on le sait, l’actrice fut l’égérie et l’épouse de Fellini jusqu’à sa mort, en 1993). Le cirque et le music-hall sont abordés dans d’autres films, comme La Dolce Vita (la scène extérieure où Anita Ekberg danse sur un air de rock). La théâtralité, notamment au travers des décors, est aussi récurrente dans son oeuvre, on le voit, par exemple dans Satyricon ou dans Casanova (1976), interprété par Donald Sutherland. Un Casanova comme on l’a rarement vu. Fellini déteste tant la personnalité du libertin vénitien qu’il choisit de l’enlaidir. Il le montre ainsi dans toute sa faiblesse. Le film est proche du théâtre par son imagerie (tout comme Intervista, 1987) où l’on vogue toujours entre rêve et réalité dans des décors de théâtre (en 1982, Fassbinder fera de même avec Querelle). Le néo-réalisme dans son éclat scénique. Il apparaît évident que la scène, qu’elle soit théâtrale ou provenant du cirque, fascine le cinéaste. La culture populaire dans tous ses états. La légende dit que Federico Fellini a quitté Rimini, sa ville natale, pour suivre un cirque. Ce qui est faux et archi-romancé, bien sûr. Il s’installe à Rome en 1939, il a dix-neuf ans. Il est alors caricaturiste et illustrateur de presse. Il dessine des vignettes humoristiques, pour des journaux tels que 420 ou El Corriere della Sera. Il souhaite en faire son métier. En 1945, il rencontre Roberto Rossellini et devient son co-scénariste. C’est ainsi qu’il met le pied à l’étrier sans pour autant abandonner tout à fait l’illustration qui reste sans aucun doute une autre source d’inspiration pour ses films. C’est en 1950 que commence l’aventure cinéma…
Laboratoire visuel
L’exposition est organisée et produite par Fundacio Caixa Barcelona, NBC Photographie, la Fondation Fellini pour le cinéma (Sion), La Fondazione Federico Fellini (Rimini) et la Cineteca di Bologna. Sam Stourdzé, commissaire de l’événement, a conçu un laboratoire visuel fait de photographies, d’extrait de films, de documentaires, de coupures de presse et d’affiches. Un parcours savamment conçu pour connaître les rouages felliniens dans leurs grands traits. En France, l’expo intitulée La Grande parade devient ici Le Cirque des illusions (El Circo de las ilusiones). Les deux titres soulignent la passion de Federico Fellini pour le cirque et la fantaisie. Plus de quatre-cents documents pour un parcours divisé en quatre grands thèmes (« La culture populaire », « Fellini à l’oeuvre », « La cité des femmes », « Fellini ou l’invention autobiographique ») prolongés par d’autres motifs tels que la religion, le cirque, les grotesques, les prostituées… On y verra une multitude de photos de tournages où prédomine La Dolce Vitapuisque le film phare de Fellini fête ses cinquante ans cette année.
Federico Fellini, El Circo de las ilusiones, exposition visible jusqu’au 13 juin 2010, à la Caixa Forum (Avda. Marquès de Comillas, 6-8, M°Plaza de España), Barcelone.