Adèle a 15 ans, des parents qui la laissent vivre à son gré. Une vie simple entre le lycée, les repas en famille, les devoirs à faire pour le lendemain. Elle est studieuse et aime les livres. Adèle (Adèle Exarchopoulos) vit ses premières expériences sexuelles avec les garçons sans grand émoi. Elle est comme à côté de sa vie, semble détachée de tout, ne pas vibrer comme les autres filles de son âge. Elle est du genre pensive, ailleurs. Et puis, passe la fille aux cheveux bleus dans son champ de vision, sur une place pleine de monde. Son âme chavire à l’instant même. Elles auraient pu poser leurs regards ailleurs… “Il n’y a pas de hasard”, lui dira Emma (Léa Seydoux) quelques jours plus tard, lors de leur première conversation dans le bar lesbien où Adèle la retrouve enfin, cette étrange fille aux cheveux bleus. Avant l’amour fou. Un coup de foudre, en tout cas. Emma étudie aux Beaux Arts, c’est une artiste, tandis qu’Adèle s’imagine plus tard dans l’enseignement. Elle est comme un Coeur simple à la Flaubert. Emma assume pleinement son homosexualité, Adèle la découvre et la cache au grand nombre, ses copains, ses parents… Mais à Lille le monde est tout petit alors ses copines de lycée la bousculent, ne peuvent pas accepter l’autre manière d’aimer d’Adèle. Pourtant, elle aime et c’est tout ce qui compte. C’est ce duo qu’elle forme avec Emma qui lui permet de sentir les parfums de la vie, ressentir les choses enfin, vraiment. Hélas l’amour, de quelque rive qu’il appartienne, est parfois malmené, éreintant. On y perd des plumes. Chacune poursuit son destin professionnel aux antipodes de l’autre, Emma peint, prépare ses expositions, Adèle est institutrice. Et puis, on suit un peu leur vie de couple, on les voit faire l’amour moins souvent. Les orgasmes du début cèdent le pas à un quotidien moins magique, un amour plus sage. Alors Adèle finit par céder aux avances d’un collègue instituteur. Aller voir ailleurs si c’est plus émoustillant, elle qui ne connaît pas grand-chose aux grands peintres, qui se sent à côté de la plaque parmi les amitiés intellectuelles et artistiques d’Emma. Oui, mais voilà, elle est entière la fille aux cheveux bleus, n’accepte pas les à peu près, les compromis. Préfère l’amour absolu, le chaud plutôt que le tiède. Et c’est à ce moment-là que la vie d’Adèle vire au chaos. Lui est-il possible de vivre sans la peau de celle qu’elle aime au-delà de la raison ? La peau. C’est bien cela aussi. La peau douce, aimée, dont elle ne peut se passer.
Une oeuvre de peau, de chair…
La Palme d’Or 2013, est sans doute l’un des films les plus émouvants sur l’amour depuis In The Mood for love (Wong Kar-Wai, 2000), mais pas de comparaisons possibles, ils sont aux antipodes. La Vie d’Adèle est une oeuvre de peau, de chair… comme une histoire que l’on peut toucher, nous, spectateurs. Le film nous fait vivre “l’événement” amoureux de ses personnages au plus près, à travers des plans serrés. Une caméra subjective à quelques millimètres des actrices pour des scènes de sexe explicites, de repas gourmands, de tendresse dans un jardin, ou pour partager le sommeil profond d’Adèle, la bouche ouverte comme un bébé. Le réalisateur filme ses héroïnes sans distances, la peau de chacune, les corps nus, les visages qui soufflent, qui sourient, qui pleurent, qui respirent… les cheveux emmêlés d’Adèle. Il cadre le désir. Abdellatif Kechiche réussit le tour de force de nous faire vivre la passion, comme rarement au cinéma. En partie par cette manière unique de filmer et puis, par le jeu exceptionnel des comédiennes. Et nous ne voyons pas là uniquement un film sur une relation hors champ mais plutôt une œuvre à couper le souffle sur l’amour avec un grand A. Tout simplement.
© Corinne Bernard, octobre 2013. (parution vivreabarcelone.com)
La Vie d’Adèle (La Vida de Adèle), un film d’Abdellatif Kechiche, avec Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Salim Kechiouche… D’après la BD Le Bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh. Palme d’Or au festival de Cannes 2013. À l’affiche en Espagne le 25 octobre 2013.