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Ida, le deuil noir et blanc

 
 
 

Première séquence époustouflante montrant un noir et blanc et un cadrage superbes, hors du commun. La caméra est fascinée par la jeune Ida en train de restaurer la statue du Christ. Années 60, au coeur de la Pologne communiste. Ida l’orpheline doit prononcer ses vœux dans quelques jours, mais avant cela la mère supérieure du couvent où elle a grandi l’incite à aller voir sa seule famille. Une survivante. Sa tante Wanda, magistrate sévère aux airs graves et absents. Dès leur première rencontre, la tante  révèle à sa nièce son  obédience de naissance. Elle n’est pas chrétienne mais juive. Ida ne répond rien, elle n’est pas bavarde mais on sent bien que les sentiments s’agitent en elle. Ses parents ont été assassinés durant la guerre. Les deux femmes  partent en voiture en quête du seul témoin qui sait où ont été enterrés les corps des victimes. Elles remontent le cours du temps violent. Au fil de leur bref périple vers le village polonais où vivait la famille, nous en saurons plus sur le mal-être et l’alcoolisme de Wanda. Wanda “La Rouge” qui a envoyé à la potence les “ennemis du peuple”, comme elle le raconte à sa nièce. Il s’agit du deuil de deux femmes et, à travers ce propos universel, des souffrances et des questions de ceux qui vivent avec l’horreur en mémoire. 

Wanda, merveilleusement interprétée par Agata Kulesza, est une personne perdue et désespérée car elle aussi a vécu le drame au plus près. Elle survit via l’alcool et les hommes de passage. Et puis, elle voudrait voir Ida se transformer.  Elle voudrait qu’elle soit dans la vie et ne comprend pas sa vocation religieuse. L’enfermement, la fuite. Chacune d’elle est troublée par son propre sort et par celui de l’autre. Ida (formidable Agata Trzebuchowska), doute à chaque instant de son choix, doute au début de la droiture de sa tante.

Le réalisateur polonais Pawel Pawlikowski manie la mise en scène avec une aisance peu commune. Et le premier éblouissement arrive dès les premières images d’une beauté émouvante. Où le noir et blanc teinté de nuances grises rappelle celui du Ruban Blanc, autre merveille visuelle (Michael Haneke, 2009), et autre drame en rapport avec la monstruosité nazie. Mais si le drame de Haneke  touchait toute une “collectivité” familiale, ici  l’intime est omniprésent. La rencontre de deux personnes totalement différentes et pourtant semblables. Avec ce passé douloureux qui éclate avec autant de violence qu’une bombe. Une violence sourde où aucune des deux ne se révolte contre l’origine du crime. Car la révolte est intérieure, silencieuse. Et se retourne plutôt contre ses héroïnes blessées. La culpabilité de Wanda, le désarroi d’Ida aux prises pendant quatre jours avec une réalité crue hors du couvent. Ida évoque le deuil et le renoncement avec une finesse, une élégance et une grandeur rares. 

© Corinne Bernard, mars 2014.

Ida, un film de Pawel Pawlikowski, avec Agata Trzebuchowska, Agata Kulesza, Dawid Ogrodnik… À l’affiche en France le 12 février 2014. À l’affiche en Espagne le 28 mars 2014.