Silences sonores
White Paintings (Three Panel)1951,Oil on canvas 182,88 x 274,32 cm
© Robert Rauschenberg, Estate of Robert Rauschenberg, VEGAP, Barcelona, 2009
John Cage and Merce Cunningham, 1964. Photo: Hans Wild (Courtesy of the John Cage Trust).
Reunion, 1968. Performance Marcel Duchamp and John Cage, chess game on sounding board. Photo : Shiseko Kubota.
Le trafic, la rue, un restaurant, un aquarium… Les silences musicaux chez John Cage sont encore des sons… sa recherche d’un silence insensé, quasi-inexistant, le conduit vers une conclusion en forme de vérité : tout est son. L’espace dans lequel nous vivons, où que nous soyons… même dans une pièce insonorisée, les palpitations, les bruits de notre organisme sont encore et toujours du son. Fortement influencé par la philosophie zen et par le livre du Yi King, suite à un voyage en Orient, John Cage cultivera sa recherche des bruits formés par l’environnement. L’aléatoire, le hasard aussi sont ses alliés. Sa partition la plus célèbre, 4’33” (1952) constitue l’un des summum de cette recherche, certains y verront une farce.Imaginez une salle de concert, l’orchestre et son chef. Le silence pendant quatre minutes et trente-trois secondes. Grand art ou grand camouflet? Certainement une leçon de philosophie pour le public dans la salle qui accède à une musique qui n’est autre que le résultat des multiples sons à l’intérieur même de la salle de concert. Comme les Dadas, comme les Surréalistes, comme le Nouveau Roman, le musicien, élève de Henri Cowell et de Schoenberg, connaît son art. Il connaît bien la musique mais a décidé de la déplacer hors de son champ conventionnel. La dépouiller de ses stéréotypes. Ses formes bridées. Il va même jusqu’à inventer la technique du « piano préparé », poussant plus loin l’idée de Cowell (lever le couvercle pour toucher directement les cordes du piano), en proposant de placer des objets sur les cordes de manière à réinventer les sons de l’instrument.
L’anarchie du silence
L’exposition proposée au Macba a pour titre La anarchia del silencio. John Cage y el arte experimental, (L’anarchie du silence. John Cage et l’art expérimental). Elle retrace l’itinéraire de cet enfant terrible de la musique expérimentale depuis « Tout est son », jusqu’à « Il y a toujours du son », les credos de sa recherche. On y verra les nombreuses partitions du musicien, annotées. L’itinéraire est jalonné des oeuvres de ses amitiés et collaborations avec, entre autres, des pièces de Rauschenberg, Duchamp, Nam June Paik, Kelly, le Fluxus, et d’autres amants de l’informel. Car il s’agit bien de faire disparaître toutes les formes établies aussi bien en musique qu’en peinture ou en sculpture afin de laisser une liberté à l’imagination. Pour l’artiste et pour le spectateur. Ainsi, les White Paintings de Rauschenberg (1951), toiles immaculées. Elles permettent de laisser vagabonder l’imagination selon la lumière qui s’y pose. Une vidéo du Fluxus datant de 1962, montre une sorte de concert-conférence où les membres du groupe avant-gardiste produisent des sons avec leurs mains ou des objets du hasard devant un public hilare. Evidemment, l’humour semble omniprésent du côté de ces musiciens, peintres, performers… du côté du trublion John Cage. Il suffira d’écouter l’une de ses nombreuses interviews pour s’en convaincre. Comme ses prédecesseurs surréalistes, le musicien dépasse aussi la posture qui encombre parfois les compositeurs classiques. Informel donc, complètement décalé, lui, et ses amis. Le plus amusant de “l’équipée” est sans doute Nam June Paik, l’artiste Coréen produit une oeuvre en forme de pied-de-nez à la politique restrictive et aux valeurs de son pays : on découvrira ainsi sa télévision-aimant, Magnet tv (1965). Une petite télé noire au-dessus de laquelle est posé un grand aimant rouge faisant office d’antenne. Brouiller la transmission. Brouiller les perceptions. Les clichés, toujours s’en défaire. Ellsworth Kelly participe aussi à cette avalanche révolutionnaire, qui s’acoquine avec les surréalistes -l’écriture spontanée- pour sa série au crayon et à l’encre, justement nommée Automatic Drawing(1950). Une installation sonore clôt l’exposition, huit haut-parleurs dans une salle obscure, un écran de télévision affiche la chronologie heures, minutes, secondes… on peut écouter les bruits ambiants (Conférence sur le temps, 1975). Car il s’agit bien d’écouter. Au final, John Cage demandait à son public d’écouter ce qu’il se contentait d’habitude d’entendre… transformer un son, un bruit ambiant en partition musicale hors cadre.
© Corinne Bernard, novembre 2009. (parution : www.vivreabarcelone.com)
« La anarquia del silencio. John Cage y el arte experimental. », exposition visible au Macba jusqu’au 10 janvier 2010.