L’adolescence est un monde
Sébastien Lifshitz a choisi de suivre le quotidien de deux amies durant cinq ans, de 13 à 18 ans. Elles se différencient par leur milieu social, Emma est issue de la classe moyenne tandis qu’Anaïs grandit dans un milieu ouvrier sans diplômes. Cela n’empêche pas Anaïs de tout faire pour devenir quelqu’un, réussir à dépasser le milieu où elle est née. Emma quant à elle, rêve de musique, de théâtre et de cinéma, on la voit à ses différents cours après la classe, chanter, jouer… de la place pour rêver.
La caméra de Sébastien Lifshitz est empathique et au plus près de ces adolescentes auxquelles il semble vouer une belle tendresse. On suit les premières fois de chacune, les joies et les peines de ces deux ados qui évoluent à Brive et songent à plus grand après le Bac : Limoges et Paris. Plus des petites filles et pas tout à fait des adultes, elles sont au moment des possibles.
Il y a les rêves, mais il y a aussi la vraie vie et ses accidents : une mère malade, une maison qui brûle, des amours rompues, le décès d’une grand-mère qui comptait.
Quel avenir ? Anaïs choisira-t-elle le métier de garde d’enfants ou celui d’aide-soignante dans un Ehpad ? Emma sera-t-elle productrice ou actrice ?… La vie devant soi.
Et puis, il y a le regard qu’elles portent sur leurs parents, les rapports qu’elles entretiennent avec eux. L’éducation, ce mot a double tranchant. Trop ou pas assez. Le réalisateur filme au plus près les rapports mère-fille, si compliqués au demeurant. On retiendra cette scène au moment où Anaïs est sur le point de quitter le foyer familial pour s’installer seule, sa mère qui pleure dans ses bras en lui suppliant de ne pas partir…
Les disputes entre Emma et sa mère, une femme rigide et totalement dépassée par l’attitude et les choix de sa fille, cette future artiste. C’est l’heure des révoltes.
Ces adolescentes représentent une génération qui pousse dans la violence des attentats de 2015, la montée de l’extrême droite et l’intronisation d’un président voté pour faire barrage au pire.
Grandir c’est aussi le corps qui change, au déroulé de ces cinq années Anaïs et Emma se font plus femmes, plus jolies, plus féminines. Elles évoquent les sentiments, leur première fois (quand et comment ce sera ?), s’interrogent sur une sexualité pas encore commencée.
Le documentaire nous offre des moments solaires, on s’attache à ces filles-là, on est ému par ce portrait d’adultes en devenir. Un portrait qui nous ramène sans doute à qui nous étions, nos joies, nos peurs, nos parents. Et ces amitiés si fortes que nous croyions éternelles. L’adolescence est un monde.
© Corinne Bernard, septembre 2020.
Adolescentes, documentaire de Sébastien Lifshitz, 2 h 15.