Le musée Picasso de Barcelone propose une exposition en forme de comparaison entre les oeuvres de Picasso et celles de l’impressionniste français Edgar Degas, dont il était un fervent admirateur et se serait inspiré… Rendez-vous jusqu’au 16 janvier prochain.
Les portraits et autoportraits, les femmes, la danse… surtout les femmes, Picasso et Degas avaient en commun la passion des femmes (d’ailleurs, le premier, plus que le second, ne se contentait pas uniquement de les représenter puisqu’il aimait aussi les collectionner). Plus d’une centaine d’oeuvres des deux artistes montrent l’influence que l’Impressionniste a exercé sur le travail de Picasso. La thématique de Picasso, suit les traces de son prédécesseur c’est ce qui est montré dans cette expo, le ballet, les baigneuses, la vie de bohème dans les cafés, les bordels… Le ballet fascinait Degas et c’est à cela qu’on a toujours reconnu son oeuvre, sa signature. On en a presque oublié ses peintures hippiques, les jockeys et les courses dont il a peint de nombreuses toiles avant de jeter son dévolu sur la scène théâtrale et ses lumières. Picasso rencontre Olga Khokhlova (1891-1955) l’une des danseuses des Ballets russes de Diaghilev en 1917. Il l’épousera un an plus tard. Il a peint Olga dans l’un de ses rôles au théâtre : Les Sylphides, un ballet où le traditionnel tutu, cher à Degas, est l’atout royal. Parmi les nombreuses sculptures de Degas représentant une danseuse, il y a la célèbre Jeune danseuse de quatorze ans (1879-1881), la seule montrée de son vivant, ses autres pièces étant été dévoilées après sa mort, en 1917. Une soixantaine de sculptures en plâtre, cire et autres matériaux, toutes représentant des danseuses nues. Picasso s’en est inspiré pour sa série de petites sculptures de danseuses et baigneuses. L’artiste espagnol s’inspire mais ne copie pas. C’est ce qui ressort de cette exposition d’oeuvres comparées, on sent bien la patte du cubiste dans ses baigneuses, ou dans sa manière de peindre la vie de bohème dans les cafés… Portrait de Sébastien Juder i Vidal (1903), période bleue, est mis en apposition avec L’Absinthe (1875-1876), de Degas. Dans chacune des toiles, un couple est assis à la table d’un café et semble un peu perdu, mais chez Picasso, les deux personnages nous regardent, alors que chez Degas, leur regard est ailleurs, les deux de Degas semblent bien plus paumés que les amis de Picasso.
La douceur chez Degas
Il y a une douceur propre aux Impressionnistes, particulièrement évidente chez Renoir. Avec Degas, les petites danseuses en tutu, les femmes qui se coiffent ou prennent un bain, ont quelque chose de plus suave que chez Picasso. Par sa modernité (période bleue, Cubisme…), il tranche radicalement avec le romantisme d’un Degas. On le voit encore avec la comparaison faite entre Nu se peignant (1952), de Picasso, et La coiffure (1896), de Degas. Les femmes du peintre espagnol ne sont pas forcément belles, elles n’ont pas le geste délicat, les mains qui essorent les cheveux de la femme en bleue (sur fond bleu) sont viriles tandis que dans La Coiffure, les mains et les bras sont délicats, la jeune femme se fait délicatement coiffer, sans doute par sa bonne, les cheveux sont rouges, tout comme la robe et le décor. Chacun sa couleur. Les femmes de Degas sont fragiles, tandis que chez Picasso, elles sont l’alma mater, des mères plus que des jeunes filles en fleur… La juxtaposition des sculptures des baigneuses, de l’un et de l’autre, dans l’une des dernières salles de l’exposition peut même prêter à sourire tant les sculptures de Picasso semblent inachevées, imparfaites aux côtés de celles de Degas. Mais Picasso est résolument moderne, a mille lieues des formes académiques. Il rompt avec les symboles de la beauté pour en réinventer une autre. La femme n’est plus cet objet délicat qu’on a l’habitude de voir dans la peinture et la sculpture classiques, elle est quelqu’un qui vit et connaît les tâches quotidiennes qui peuvent altérer un corps. Une exposition fascinante qui permet de mieux comprendre la démarche artistique, les inspirations qui ont mené Picasso à un style nouveau qui se jouait des codes de ses aînés : le Cubisme.