Joaquim Gomis

La modernité photographique (1918-1948)



© Joaquim Gomis, Rivière, 1949. (coll. privée). 

Par sa manière d’explorer le monde avec des photos-collages, des trompe-l’œil, des formes nouvelles inspirées par un environnement et des techniques sans cesse en mouvement… la photographie a connu un fabuleux essor en Europe, durant l’entre-deux guerres.  C’est ce que donne à voir l’expo « Prague, Paris, Barcelone, la modernité photographique de 1918 à 1948 », proposée au MNAC, à Barcelone. Durant la fin de la première Guerre mondiale, époque de grands changements industriels,  techniques et urbains, les artistes ont revu leur manière d’observer le monde contribuant ainsi à  l’émergence d’un nouveau regard porté sur le médium photographique. Laszlo Moholy-Nagy, lui-même attribuait deux naissances à la photo, la première, au XIXe, et la seconde, au XXe siècle. Si en Amérique la photo a atteint une valeur sociale marquée par des photographes tels que Paul Strand ou Lewis Hine, en Europe, les photographes appréhendent l’appareil photo comme le peintre son pinceau. Le photographe ne montre pas uniquement ce qu’il a vu, il modifie, embellit (ou le contraire !), donne une nouvelle focalisation à travers une réalité plus subjective. Le musée barcelonais met d’abord en avant le vivier de photographes catalans tels que Joaquim Gomis, Gabriel Casas, Pere Català Pic… qui s’employaient à rendre des paysages urbains, des corps… étranges ou différents. Ainsi, Gabriel Casas et son photo-montage d’un bolide qui semble une machine infernale composée d’une multitude de pièces, pas-de-vis, rouages (Sans-titre, 1930). De même, Pere Català Pic et Industrias Graficas Cantin (1935), offre un montage fait d’une surimpression où l’on distingue les rotatives d’une imprimerie, des ouvriers affairés. La machine domine. Ces deux photos sont semblables par la technique et glorifient l’industrie, lui donnant une aura fascinante. On entend le bruit des machines.
Ballet mécanique
Dans la même veine, Fernand Léger, proposait en 1924, un film intitulé Ballet Mécanique et qui soulignait aussi cette espèce de fascination pour la cadence des machines. Le bruit, les formes, le métal. Toujours dans l’image étonnante par ses trucages où l’on utilise toutes sortes de « magies » pour changer l’objet photographié et du même coup, le regard du spectateur, il y a Ladislav Emil Berka.  Prague en surimpression, architecture de la rue Parizka, (1929-1933), ce sont deux bâtiments classiques qui se chevauchent. La surimpression en reflet, comme regarder dans une vitrine. Du côtés des « Ombres » (intitulé de la 3e salle de l’expo), le Tchèque Frantisek Drtikol (1883-1961) représente l’Art Nouveau et cela saute aux yeux par ses formes géométriques, ses perspectives qui épousent le corps féminin, nu, tendu, athlétique, et dont on ne voit pas le visage. Un visage caché par trois cylindres qui s’entrecroisent dans un triangle parfait, à l’intérieur duquel la jambe forme un parallèle avec ces colonnes que le corps semble soutenir. Brassaï (Hongrie, 1899-1984) photographe de la nuit, immortalise les villes, leur ponts et réverbères. Et un simple pavé à peine éclairé revêt une forme quasiment surnaturelle et inquiétante (Les pavés, 1931-1932). 
La photo ludique
On passe aux « Images automatiques », autre partie de cette grande expo. Est-il possible alors d’oublier Man Ray ? L’orfèvre de l’illusion d’optique, l’ami de Duchamp, du groupe Dada. Avec lui, la photographie est élevée au rang d’art pur, et nous ne sommes finalement qu’à ses prémisses. Candélabre de verre (1928), est comme un amusement. Man Ray nous guide vers ce que notre oeil ne peut voir. Les formes deviennent autres et il le montre de manière légère avec une photo en forme de radiographie (grâce au procédé de la Rayographie qu’il utilisera souvent). 
Les photographes n’ont de cesse d’explorer de nouvelles techniques telles que la solarisation (Sans titre, Aurel Bauh,  1929) ou le photogramme. Pere Catala Pic, Jaromir Funke et d’autres, s’amusent avec des objets aussi banales qu’une paire de ciseaux ou de petits tubes pour obtenir des images inédites. La photo est ludique, permet toutes les extravagances. Les artistes n’oublient pas le domaine de la publicité. La dernière salle est consacrée à toutes sortes d’images magnifiant les parfums, chocolats, bijoux, boîtes d’aspirine… Ainsi, le Catalan Ramon Batles, pour un rouge à lèvres  (1933-1936), Josep Massana  pour la ligne de gaines « Harlow » où apparaît une pin-up à l’américaine. 
Dans la salle qui précède, Joaquim Gomis émerveille avec ses corps fragmentés. Un pied délicatement posé sur le sable, une nuque ou un sein à peine soulignés par une ombre. Poésie épurée portée par les ombres et les nuances de lumières. 


© Corinne Bernard, juin 2010. (Parution www.vivreabarcelone.com)


Exposition visible jusqu’au 12 septembre 2010 au MNAC (Museo Nacional d’Art de Catalunya), Parc de Montjuic, Barcelone. Du mardi au samedi, de 10 h à 19 h, dimanche et fêtes, de 10 h à 14 h 30. www.mnac.cat

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