L’Écume des jours
Du jazz et une histoire d’amour et de mort dans un monde fantaisiste où les souris parlent et les anguilles sortent des robinets des éviers, c’était le propos de connivence surréaliste proposé par Boris Vian via L’Écume des jours. Le roman demeure, avec le tout autre J’irai cracher sur vos tombes, celui que l’on cite volontiers lorsqu’on évoque l’oeuvre décalée du romancier. Quand on connaît l’univers tout aussi décalé du cinéaste Michel Gondry, on comprend ce choix (risqué) d’adapter le roman de Vian. Mais le projet, dans la lignée visuelle totalement magique de La Science des rêves ou de The Eternal Sunshine of the Spotless mind, ne réussit pas à nous faire décoller dans l’univers de cette histoire d’amour et de mort portée par l’impro jazzistique. Colin (Romain Duris) est un riche oisif et sans consistance, amateur de bons plats et de Duke Ellington, Chloé (Audrey Tautou) est une jolie demoiselle qui sent bon la fleur bleue. Il y aussi le cuisinier Casanova, interpreté par Omar Sy, et puis, le fidèle ami intellectuel (Gad Elmaleh) fou de Jean-Sol Partre jusqu’à en perdre totalement la raison. Un jour, Chloé tombe malade, un nénuphar grandit dans ses poumons, menace de l’étouffer… Tout ce petit monde évolue dans un théâtre imaginaire de papier mâché, de collages, et de décors placés dans un Paris improbable. Nous sommes bien chez Gondry. Mais le film reste sans grande consistance par son manque de rythme. Et toutes ces belles images finissent par lasser tant on s’ennuie. L’oeuvre de Vian est de ces romans qui nous semblent inadaptables à l’écran. Elle fait, bien plus qu’une autre, appel à l’imagination et au rêve sans limitation de vitesse. Gondry est l’un des réalisateurs les plus originaux du moment, sans aucun doute, mais pourquoi avoir sollicité chez Tautou une énième interprétation d’Amélie Poulain ? Du coup, la séance a des airs niais et désuets qui n’ont rien à voir avec le roman. L’Écume des jours était un tourbillon surréaliste, un envol sans concession au sein même du jazz pour raconter la mort et l’amour d’une manière tout à fait unique et inventive. Boris Vian avait réussi à mêler le phrasé de Duke Ellington à la musicalité des mots littéraires et oniriques. Le film est évidemment superbe dans sa mise en scène, mais n’offre pas l’émotion narrative qui permettrait au spectateur de se laisser emporter par l’émerveillement de ce qu’il voit. Il faudrait lire ou relire aussi le roman paru en 1947, installé à la terrasse d’un de ces fabuleux cafés de Barcelone, ne pas se contenter des babillages de Tautou et des hésitations d’un Duris pas très à l’aise dans la peau de Colin découvrant la cruauté de la vie.
© Corinne Bernard, septembre 2013.
L’Écume des jours (La Espuma de los días), un film de Michel Gondry. Avec Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh… À l’affiche en Espagne le 27 septembre 2013. À noter, la version de deux heures, sortie en France au printemps, a été écourtée d’une trentaine de minutes pour l’adapter au marché étranger…