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Les Passagers de la nuit

 

Les Passagers de la nuit, de Mikhaël Hers, sonne comme un bijou en forme de traversée dans une vie parisienne des 80’s, mais aussi comme un émouvant hommage au cinéma d’auteur via Éric Rohmer. À l’heure où les salles post-Covid n’attirent plus les foules, le film fait figure de porte-voix du cinéma en salles.

C’est l’histoire d’Elizabeth, superbe Charlotte Gainsbourg, à l’orée de la quarantaine, qui vient de se séparer de son époux. Une vie à reconstruire auprès de ses pré-ado et ado, Matthias et Judith. Une mère et ses enfants au début des années Mitterand. Le film démarre dans la liesse du 10 mai 1981 dans un Paris plein d’espoir. Une France en plein tournant joyeux. Et le cinéaste est allé piocher dans des images d’archives le souvenir de cette folle nuit dans la capitale. 

Le trio vit dans l’une des tours du “New York parisien”, le quartier de Grenelle. Ses bords de Seine où flotte la réplique de la statue de la Liberté. Tout un symbole. Car Elizabeth est de ces femmes libres à la fois fortes et fragiles. Traverser le pont de Grenelle pour chercher du travail à la Maison de la Radio un soir d’hiver. Elle qui n’a jamais travaillé. Elle y trouvera une place de standardiste pour l’émission de la nuit (Les Passagers de la nuit), celle des fameux “sans sommeil” si bien nommés par feu Macha Béranger et sa voix de velours aux accents de rocaille patentés par les cigarettes sans fin. Un programme où Emmanuelle Béart, l’animatrice radio et productrice, campe une Macha Béranger – qui fume aussi – voguant dans les océans d’une tristesse solitaire. Au petit matin, elle rentre toujours seule, un taxi l’attend au pied de la Maison de la radio. Au début leurs rapports sont félins, et puis viendra l’amitié. 

Elizabeth et ses enfants voient leur nouvel univers bouleversé par l’arrivée dans leur vie d’une jeune fille moitié paumée moitié punk (formidable Noée Abita toute en jeunesse égarée). Une fille qui ressemble à un petit oiseau tombé du nid qui découvrirait la ville, le monde… 

Ils vont lui ouvrir leur porte et leurs cœurs, s’attacher à cette toute jeune femme sans domicile fixe, passagère de la nuit sans personne qui l’attend. Matthias s’éprend de la jeune femme qu’il perçoit comme une sorte d’héroïne de cinéma. Ils vont d’ailleurs très souvent au cinéma. Ici L’Escurial apparaît tel un emblème cinéphile du 13e, celui du temps où l’on allait dans les salles obscures d’un Paris léger où tout semblait encore possible. La mystérieuse Talulah, c’est son nom (ou son pseudo), trouvera un job d’ouvreuse qui lui permettra de voir une multitude de films, elle qui en resquillant s’est retrouvée par hasard face au merveilleux opus de Rohmer, Les nuits de la pleine lune. La fascination soudaine pour la fulgurante Pascale Ogier. Pascale Ogier, autre métaphore filée de ce Paris qui n’est plus et que nous rappelle Mikhaël Hers. Et la question émouvante de Talulah, qui apprendra la mort de la comédienne quelques mois plus tard, de la bouche de Matthias, résonne comme un écho à la ville dont les lumières commençaient à s’éteindre au fil des désillusions socio-politiques. “Mais pourquoi est-elle morte ?” lance la belle ingénue, les yeux brillants d’émotion. Comme un “pourquoi ?” définitif sur la finitude de nos vies et celle d’un monde qui disparaissait petit à petit en silence… À l’âge où l’on se cherche, Talulah adopte les intonations cristallines de la jeune actrice disparue. Touché.

 

 

Le film déroule une décennie flamboyante où tout semble plus simple. Intensément, le cinéaste offre au cinéphile un magnifique cadeau, un moment de cinéma tout en douceur, une pure magie mélancolique où l’étoile filante Pascale Ogier est le fil d’Ariane de cette capitale en forme d’insouciance quasi irréelle.

 

Une capitale comme nombre s’en souviendront, c’était hier et pourtant c’est si loin. Les Passagers de la nuit cite en pointillé quelques documents des 80 où l’on aperçoit des lieux, des voyageurs dans le métro, des regards… Une vie sans téléphone portable ni ordinateur où les Parisiens échangent des regards, des sourires, interagissent. Le trio devenu quatuor vit un quotidien au gré des amours et des rencontres. Ces passagers de la nuit sont de simples et heureux passagers de la vie. Et ceux qui ont connu cette époque et la foule des cinémas de quartier, admiré l’étincelante Ogier chez Rohmer, retrouveront un bout de leur propre jeunesse, passagère de cette nuit parisienne.

 

© Corinne Bernard, juin 2022.

Les Passagers de la nuit, de Mikhaël Hers, avec Charlotte Gainsbourg, Quito Rayon Richter, Noée Abita, Émmanuelle Béart, Megan Northam… À l’affiche, 2022.

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