Le monde selon Strand
© Paul Strand, Wall Street, New York, 1915.
« Blind » et « White fence » sont parmi les photos célèbres de Paul Strand exposées à la Fundacio Foto Colectania. Des instantanés de la rue aux arbres de son jardin, cette rétrospective (1915-1976) met en lumière l’étendue du travail du photographe.
On connaît la férocité de « Blind » (1916), le portrait d’une mendiante aveugle aux Etats-Unis. Une photo sans concession, catégorique. Celle qui a inspiré tous les photographes qui ont suivi. Au « pictorialisme » censé imiter la peinture et les eaux-fortes, Paul Strand préfère l’immédiateté, la spontanéité, l’instant sans trucage. C’est sa marque de fabrique, appelée Straight photography. Il prend des clichés des passants, souvent à leur insu. Cela donne des scènes improvisées, aux contrastes formels comme ces travailleurs de Wall Street (Wall Street, New York, 1915). A partir de la crise de 1929, Strand concentre son intérêt sur les personnes affectées par la catastrophe économique, les gens de peu. Il va au Mexique capter les regards durs des paysans marqués par le labeur (Men of Santa Ana, 1933). La très chic Fundacio Foto Colectania distille les photos à travers plusieurs thèmes majeurs tels que Manhattan, la nature, le Nouveau-Mexique, ses multiples voyages ainsi que les photos du jardin de sa maison, à Orgeval où il vivra jusqu’à sa mort, en 1976. Les fascinantes images prises en Italie s’attachent aussi à la misère. Ainsi, cette mère dans l’encadrement de la porte de sa maison. Une façade délabrée. Autour d’elle, ses cinq garçons, ils sont pieds nus. Ils semblent tout droit sortis du film de Visconti, Rocco et ses frères, les mêmes visages, les mêmes dégaines typées (The family, Luzzara, Italy, 1953). En France, où il se réfugie dès la fin des années 40 en raison de la chasse aux sorcières (Paul Strand n’a jamais caché sa sympathie pour le communisme), il poursuit sa conquête artistique du monde rural. C’est là qu’il réalise le sublime portrait d’un garçon au regard d’acier (Young boy, Gondeville, France 1951). La rétrospective montre aussi des paysages, comme l’archipel des Hébrides, à l’ouest de l’Ecosse. Des landes solitaires où l’on aperçoit parfois des chevaux sauvages (Tir A’Mhurain, South Uist, Hebrides, 1954). A 86 ans, Paul Strand publie des photos sous le titre On my doorstep et démontre que son propre jardin d’Orgeval recèle des trésors qui méritent d’être immortalisés. Mieux que personne, il domine la lumière pour capter la beauté des glycines et des arbres (Wisteria, Orgeval, 1964). La rétrospective met en valeur les images d’un photographe qui avait su égaler ses illustres mentors Alfred Stieglitz et Lewis Hine.
© Corinne Bernard (parution dans Pilote Urbain, mars 2009)
Exposition visible jusqu’au 4 avril, à la Fundacio Foto Colectania. Du lundi (après-midi) au samedi, de 11h à 14h et de 17h à 20h30. C/Julian Romea, 6 D2. www.colectania.es