Nabil Boutros, série “L’Egypte est un pays moderne!”, 2006. Fouad Maazouz, Camel Boy, série “Ici et/est ailleurs”, 2004. Samuel Fosso, La Bourgeoise, série “Tati”, 1997.
Samuel Fosso, Le chef, série “Tati”, 1997.
La biennale des « Rencontres Africaines de la photographie » de Bamako est un rendez-vous incontournable de la photographie. Le CCCB a réuni quelques images issues de l’édition 2007 avec, en focus, un hommage à Serge Jongué et Samuel Fosso.
La photographie en Afrique est portée par des artistes aussi reconnus que Malik Sidibé, lequel séduit toujours avec ses portraits reconnaissables à leur style « studio ». Pour connaître d’autres talents, les rencontres de Bamako nous révèlent combien l’Afrique est inventive et culturelle. L’édition 2007 a pour thème l’urbanisation, les transformations des villes et comment leurs habitants s’en accommodent. Avec la série « L’infini, l’imparfait, l’inachevé », Adama Bamba, originaire du Mali, montre le squelette d’édifices dominés par le béton et les armatures de fer. Des immeubles inachevés, photographiés en noir et blanc, qui laissent une impression de solitude et de vide. Dans un tout autre registre, sans doute plus léger et marqué par l’humour, voire l’ironie : « L’Egypte est un pays moderne! », une série qui prête à sourire. Nabil Boutros, né au Caire en 1954, a choisi le kitsch de certaines villes touristiques. Ici, Le Caire a des allures de parc d’attraction. Edifices ou centres commerciaux aux couleurs flashy, parabole (parasite?) émergeant d’un palmier, terrain de golf luxuriant. Tout cela, à côté de représentations moins clinquantes, comme ce quartier fait d’immeubles désertés, il semblerait. La photographe marocaine Fouad Maazouz surexpose les couleurs, une manière de distance avec l’objet photographié. Sa série « Ici et/est ailleurs » nous offre la mer et ses baigneurs observés par une femme que l’on voit de dos. L’inconnue est vêtue d’un rose extravagant, fluorescent. Assise sur un rocher, elle se pose en spectateur, comme nous. Retour au noir et blanc avec la photographe Aida Muluneh qui a quitté très tôt l’Ethiopie. Elle a passé son enfance au Canada et en Angleterre. De cette mixité culturelle sont nées des photos du pays de ses origines qui vont à contre-courant des images de famine produites par la presse internationale. Elle montre des instants simples, des amis qui rient dans un café, une gamine dans une voiture, un moine dans un salon de prière… Des moments du quotidien capturés avec beaucoup de tendresse. Aida Muluneh nous raconte autre chose que la désolation. Andrew Tshabangu, de Johannesbourg, a choisi la foule des villes et son trafic incessant, incontrôlable. Des voitures, des bus… et des gens qui font la queue aux stations de taxis. Puisque le thème est la ville, ses changements, Nontsikelelo Veleko s’attache aux looks originaux présents dans les capitales africaines comme dans toutes les villes du monde. Ses portraits en pied affichent une jeunesse urbaine avide de tendances. Les rencontres de Bamako étendent le spectre de la photographie à l’image vidéo. Plusieurs courts-métrages sont présentés au CCCB, l’un d’eux nous a particulièrement frappé : Maputo Utopia, de Berry Bickle, est une sorte de collage. Une femme danse sur un fond visuel représentant différents lieux de Maputo (Mozambique). Elle pourrait être la divinité de la ville.
Les autoportraits sans bornes de Samuel Fosso
L’hommage a Serge Emmanuel Jongué (1951-2006) propose sa série inachevée intitulée « La ville rouge ». En 2005, il parcourt Bamako à l’arrière d’une moto, armé d’un appareil photo compact ce qui produit des images semblables à la vitesse du cinéma. On y voit des enfants, des vendeuses de bananes, des portraits très colorés des habitants de la ville où le flou convoque l’illusion du mouvement. On est à la frontière entre cinéma et photographie. Quant à l’hommage rendu à Samuel Fosso… On peut dire qu’il vaut le détour. Le pape de l’autoportrait (et de l’autodérision!), c’est lui, sans aucun doute. Depuis plus de trente ans, il choisit minutieusement ses tenues et se met en scène dans différents vêtements traditionnels ou autres. Avec beaucoup d’humour il se déguise et raille les stéréotypes, ceux que le monde a sur l’Afrique et vice-versa (cf. La femme libérée américaine dans les années 70, série « Tati », 1997). Né en 62 au Cameroun, Samuel Fosso a passé son enfance au Nigeria où il a vécu la guerre du Biafra. Plus tard, il vit chez son oncle à Bangui (République centre-africaine). Il a 13 ans (!) quand il crée son propre studio de photo, le Studio National. Il utilise alors les restes de pellicules pour réaliser des autoportraits (déjà déguisé!) qu’il envoie à sa famille du Nigéria. A la fin des années 90, il a une notoriété internationale. Il revient à l’autoportrait dont il se sert pour exprimer son talent. Des photos parfaites où tout est préparé avec soin, jusqu’au damier du sol contrastant avec un batik tendu sur le mur en guise d’arrière-plan. Rien n’est laissé au hasard. Avec la série « Tati », il se représente en baigneur sur un fond blanc, arborant des lunettes de plongées aux reflets verts, sa peau est luisante de crème solaire… On le voit aussi en pirate ou en « bourgeoise » (La Bourgeoise). Avec cette représentation de lui-même, il pousse le travestissement à l’extrême en posant maquillé et en robe de cocktail noire. Il va au-delà des conventions et n’a pas peur de brouiller les pistes du moi et de sa représentation mais aussi du propre regard sur soi. Car Samuel Fosso interroge non seulement le regard du spectateur mais aussi son propre regard sur son image. Une manière de montrer que l’art doit se débarrasser de tout conformisme. Définitivement punk.